Pour garder le Grand Est, tapez sur les Alsaciens !
Réponse au Républicain Lorrain
L’éditorial du journal Le Républicain Lorrain du 15 décembre 2022 (voir en annexe), publié au lendemain du dépôt d’une proposition de loi par dix députés alsaciens qui entendent rétablir une région Alsace de plein exercice, a un ton d’une violence rare dans un quotidien régional d’information et dénote une ignorance surprenante des réalités du sujet et de l’état de l’opinion. Le MPA ne peut laisser sans réponse une attaque aussi malveillante et infondée contre ce qui est son objet même.
L’inquiétude doit être grande chez les partisans du Grand Est pour qu’ils sortent l’artillerie lourde et cherchent à mobiliser la population lorraine par presse interposée contre les Alsaciens, élus, associations, citoyens militants, affublés de qualificatifs indignes. En effet, voilà un éditorialiste qui balance un tombereau de propos d’une agressivité sans mesure sur ceux qui souhaitent le rétablissement d’une Région Alsace hors du Grand Est, en recourant à une méthode rodée depuis sept ans par les tenants de la méga-région. N’ayant jamais réussi à exposer les bénéfices que les citoyens ou l’économie retireraient de l’extension de taille des régions, ils vitupèrent contre les partisans des régions historiques sur un ton de plus en plus violent au fur et à mesure que la pression des élus et citoyens alsaciens rend plus probable un changement du statut.
L’auteur qualifie de bourde l’affirmation du Premier Ministre Jean Castex disant que les grandes régions n’étaient pas une bonne idée, alors qu’elle était parfaitement délibérée, et il ajoute qu’il sautait ainsi « sans la moindre retenue dans le train des autonomistes » ; pour être gros, le trait l’est vraiment. Au surplus, rationaliser le périmètre des régions n’a rien à voir avec l’autonomisme, quoique leur taille inappropriée handicape le bon fonctionnement de la libre administration. Suit un propos fielleux sur le fait que Jean Castex s’est offert « un siège de sénateur à la tête de la RATP » ; sans rapport avec le sujet et destiné seulement à discréditer la personne, cela est du plus grand ridicule car diriger la RATP est tout sauf une sinécure.
Venant à la proposition de loi déposée par les députés alsaciens de la majorité, l’édito parle de malentendus et de temps perdu, ce qui est vrai si l’on considère que ce sont ceux dus à la création de cette aberration administrative qu’est une collectivité régionale étirée de Mulhouse à Charleville-Mézières. Ecrire que le débat sur les institutions régionales n’est pas vif en Lorraine et Champagne, c’est reconnaître que les élus et les médias ne s’y intéressent guère. Effectivement, quand des associations alsaciennes ont fait réaliser un sondage IFOP, en mai 2022, sur ces deux régions, une part importante des personnes interrogées (20 à 25% selon les questions) était sans opinion, par défaut d’information. Toutefois, 58% de celles qui expriment une opinion sont favorables à la dissolution du Grand Est. Cela rejoint le constat fait par Jean-Pierre Masseret, ancien président (PS) de la Lorraine, à l’AG du MPA, en juin 2021 : « seuls les élus croient encore au Grand Est, car ils sont les seuls à en voir les bénéfices ».
La rédaction de ce journal, comme celle de son confrère du même groupe de presse, avait été invitée à la présentation du sondage lors d’une conférence de presse à Metz. Mais alors que France 3 et divers médias ont largement relayé les données montrant le rejet du Grand Est en Lorraine et en Champagne-Ardenne, ces journaux n’avaient trouvé personne pour écouter des résultats manifestement non conformes à leur doctrine.
A quel titre un homme de presse peut-il qualifier d’insensée la consultation organisée par la Collectivité européenne d’Alsace sur la sortie du Grand Est au début de 2022 ? Insensé : qui a perdu la raison ou le bon sens, absurde, déraisonnable, voire fou ! Cette opération décidée par une assemblée d’élus, reconnue comme un modèle original de démocratie participative, a recueilli plus de 168 000 votes, soit bien plus que n’importe quel parti politique aux élections régionales en Alsace. Les partisans du Grand Est n’avaient daigné présenter aucun argument en défense sur ses avantages, cherchant seulement à inciter à l’abstention par des insinuations malveillantes.
L’éditorialiste expose doctement qu’une région peut être efficace même si les habitants ne s’y reconnaissent pas, contrairement au « lieu commun » colporté selon lui sur ce sujet. Singulière conception de la démocratie locale, entièrement démentie par les travaux des économistes et géographes qui montrent l’inverse : c’est en respectant les identités territoriales, c’est à dire les sentiments d’appartenance et de solidarité des populations, que la décentralisation produit les politiques les plus fructueuses.
L’auteur invoque l’histoire commune de l’Alsace et de la Lorraine pour justifier la fusion des régions. Sauf qu’un minimum de connaissance historique enseigne que la Lorraine du Land Elsass-Lothringen n’a rien à voir avec la région Lorraine et que cette union-là n’avait pas non plus été un mariage d’amour.
Un morceau de bravoure porte des accusations extravagantes contre ces Alsaciens pour qui « leurs frères et sœurs » de Champagne-Ardenne et de Lorraine ne seraient « pas assez bien pour construire un avenir commun ». Depuis quand l’architecture institutionnelle repose-t-elle sur le sentimentalisme ? Comment peut-on oser l’amalgame entre la volonté de créer une institution régionale Alsace, qui existait jusqu’en 2015, et l’expression de mépris pour les habitants des autres régions ? S’il y a des relents de racisme quelque part, c’est bien dans des analyses aussi réductrices, révélatrices de l’absence d’arguments crédibles.
L’auteur sent « dans ces postures un relent insupportable ». Cette allusion à peine cachée au nazisme, calomnieuse et insultante vis-à-vis des Alsaciens qui ont trop souffert durant cette période sombre de leur histoire, est de surcroît totalement chimérique car on ne voit véritablement aucun rapport. Tout aussi inacceptable est l’opinion que la démarche politique des Alsaciens exprimerait «une aspiration avec une extraordinaire suffisance ». Cette suffisance se traduirait par leur indifférence face à « ce qu’adviendraient la Lorraine et la Champagne-Ardenne en cas de divorce ». Le vrai problème est que les responsables lorrains et champenois, élus, médias, dirigeants économiques devraient comprendre que l’aberration du Grand Est prendra un jour fin et qu’il est de leur responsabilité de réfléchir à l’avenir pour le construire en bonne intelligence avec leurs homologues alsaciens, plutôt que de jeter de l’huile sur le feu. Il n’appartient certainement pas à d’autres de dire aux élus et citoyens alsaciens ce qui est bon pour eux et de conditionner l’évolution des institutions à une autorisation qu’ils auraient vocation à leur donner.
La dernière phrase de l’éditorial résume la pensée de l’auteur dans des formules hyperboliques, d’une virulence sidérante : « Malgré le repli sur soi qui suinte de manière nauséabonde dans ces incantations populistes et autonomistes ». Vise-t-on ici tous les élus et citoyens qui demandent la création d’une région Alsace ? Où lit-on ces incantations ? Dans l’exposé des motifs des cinq propositions de loi déposées au parlement, dont deux signées par des élus lorrains ?
Le lecteur aimerait bien savoir si cet éditorial est l’égarement d’un journaliste emporté par ses préjugés et ignorances ou si c’est la position d’un groupe de presse (EBRA) qui comprend aussi des journaux en Alsace, dont les rédacteurs auraient pu éclairer et mieux inspirer leur confrère d’Outre-Vosges.
Editorial du Républicain Lorrain du 15/12/2022
Alsace ne me quitte pas !
Par Alexandre POPLAVSKY
Ne me quitte pas ma belle Alsace. On peut oublier toutes ces initiatives réclamant ta sortie de notre région Grand Est. Oui, tout peut s’oublier. Depuis la bourde d’un Premier ministre qui a sauté sans la moindre retenue dans le train des autonomistes (avant de s’offrir un siège de sénateur à la tête de la RATP) à la nouvelle proposition de loi déposée hier (après celles formulées par le RN et les LR) par les députés alsaciens de la majorité. Il faut oublier les malentendus et le temps perdu. Si le débat de l’organisation institutionnelle de cet espace reste vif en Alsace, il ne l’est pas, on vous l’assure, ni en Lorraine ni en Champagne-Ardenne. Alors on nous ressort à l’envi cette consultation insensée menée par la Collectivité européenne d’Alsace réclamant la sortie du « Pays des eaux » de la région. On nous inonde de certitudes infondées sur la prétendue incapacité de la Région à répondre aux objectifs fixés par la Loi NOTRe. On abreuve nos sillons de lieux communs sur une région qui ne serait efficace que si « les habitants se reconnaissent, une région qui correspond à une histoire, à une cohérence géographique et à une identité ». Les régions Lorraine et Alsace n’ont-elles pas une histoire commune ? L’Alsace et la Moselle n’ont-elles pas partagé, ensemble, les mêmes heures sombres ? Les habitants de Champagne-Ardenne et de Lorraine ne sont-ils pas assez bien pour construire un avenir commun avec leurs frères et sœurs d’Alsace ? Il y a dans ces postures un relent insupportable. Une façon d’exprimer une aspiration avec une extraordinaire suffisance, à défaut de la défendre avec humilité et intelligence. Car à aucun moment on ne se préoccupe finalement de ce qu’adviendraient la Lorraine et la Champagne-Ardenne en cas de divorce. Je suis fier d’avoir l’Alsace en région Grand Est. Je défends le maintien du statut de capitale européenne à Strasbourg, « la place forte sur les routes », ce carrefour des cultures d’Europe, malgré le repli sur soi qui suinte de manière nauséabonde dans ces incantations populistes et autonomistes.